Histoire de l'informatique

De la pierre taillée au crystal de silicium

Avant-propos

Beaucoup de gens se demandent d'où nous vient l'informatique; de l'Egypte ancienne, des grecs, de la reine Victoria ? Peut-être un peu de tout cela, mais surtout d'un certain nombre d'étapes fondamentales qui ont jalonné son histoire et sans lesquelles, soit l'informatique n'existerait pas, soit elle serait très différente de celle que nous connaissons. Voici quelques points de repère parmi les plus remarquables.

Le calculateur astronomique des grecs

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A l'automne 1900, des pêcheurs d'éponges découvrent l'épave d'un ancien bateau près de l'île grecque d'Antikythera. Parmi les statues, sabres et autres articles divers ramenés à la surface figurait une curieuse pièce d'horlogerie, très corrodée, connue depuis sous le nom de Mécanisme d'Antikythera. Les investigations conduites depuis ont montré que cette étrange machine était capable de prédire les éclipses, suivre le chemin du soleil et de la lune à travers le zodiaque et peut-être même tracer les mouvements des cinq planètes connues des anciens grecs. Il semble que cet instrument soit le premier ordinateur analogique connu, précédant d'un bon millénaire les premières réalisations horlogères du moyen âge. Cette pièce unique est conservée au musée archéologique national d'Athènes. A ce jour, de nombreuses questions restent pendantes. Qui a construit cet appareil ? Comment se fait-il que nul autre n'ait été trouvé ? La journaliste scientifique Jo Marchant a écrit un livre sur le sujet  (Decoding The Heavens - A 2000 Year Old Computer, Da Capo Press 2009).


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On comprend aisément qu'une pièce de technologie d'une telle rareté ait suscité un vif intérêt parmi les archéologues et les historiens des sciences, partout dans le monde. La machine d'Antikythera a été étudiée sous tous les angles, radiographiée, simulée, émulée, reproduite en dur aussi fidèlement que possible afin de parvenir à une copie fonctionnelle.

Pour en savoir plus :
Decoding an ancient computer, by Tony Freeth, in Scientific American December 2009
Ou encore   The Antikythera Project


Le premier ordinateur

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Charles Babbage (Teignmouth, Devon, 1792 - Londres, 1871) est considéré comme un des pionniers de l'informatique. Il est surtout connu pour ses Differential Engine 1 et Differential Engine 2, lesquels étaient des calculatrices mécaniques ne connaissant que l'addition et la soustraction, pouvant résoudre seulement des équations plynômiales. Elles étaient orientées vers le calcul (sans erreur) de tables, très utilisées alors pour la navigation. Cependant, son oeuvre la plus remarquable est son Anlytical Engine, une machine "intelligente" pouvant être programmée et qu'il passa une grande partie de sa carrière à concevoir et élaborer. De 1834 à 1871 il ne cessa de perfectionner sa machine. Laquelle machine, par suite d'un manque drastique de financement, ne donna pas lieu à une réalisation concrète. Un montage de démonstration de faisabilité de la partie processeur était encore incomplet à sa mort. Les spécialistes ont été unanimes par la suite pour reconnaître que son projet aurait pu donner lieu à une réalisation parfaitement fonctionnelle et viable.
Ci-contre C. Babbage pose pour un daguerreotype vers 1847.


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L'Anlytical Engine (Machine analytique) se distingue des calculatrices classiques et se présente comme un précurseur des ordinateurs (1) modernes par un certain nombre de spécificités. Il s'agit d'une machine programmable à usage général pouvant exécuter les opérations de base (addition, soustraction, multiplication, division) dans n'importe quelle séquence. Son architecture interne comporte des unités stockage (store) et de traitement (mill) séparées, l'équivalent de la mémoire et du processeur dans un ordinateur moderne. Cette séparation de store et mill a été un trait dominant dans les ordinateurs électroniques depuis le milieu des années 1940. Il s'agissait d'un système programmable et les données pouvaient être introduites au moyen de cartes perforées. Il pouvait prendre des décisions logiques en fonction d'un résultat de calcul (on dit effectuer un branchement ou fork) lui permettant de traiter des fonctions complexes. La carte perforée était déjà connue, elle avait été inventée par Joseph-Marie Jacquard (Lyon 1752 - Oullins 1834) pour les métiers à tisser.

(1) Le mot ordinateur est employé ici du fait qu'il s'est banalisé et fait maintenant partie du langage courant. Il reste bien évident qu'un "ordinateur" n'ordine rien, il compute.


Le premier programmeur

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Augusta Ada Byron (Londres 1815 - 1852) était la fille de George Gordon lord Byron, poète et de Annabelle Milbanke, mathémathicienne. Elle reçu une excellente éducation en sciences et en mathémathiques, ce qui était inhabituel à l'époque pour une fille, méme de lignée noble. En 1833, alors agée de 17 ans elle eut l'occasion de rencontre Charles Babbage, lequel travaillait alors sur son Differential Engine 1. Elle fut prise d'un intérêt très vif pour ses travaux et ils restèrent en contact. Par la suite il lui fit part de son projet d'Anlytical Engine Entre temps Ada épousa William King, comte de Lovelace et devint ainsi comtesse de Lovelace. Cependant ils restèrent en contact. En 1843, avec les encouragements de Babbage, elle publia un document très étoffé sur la programmation des ordinateurs. Ce document resta d'ailleurss le seul et unique pendant tout le siècle qui suivi. Elle écrivait "The distinctive characteristic of the Analytical Engine is the introduction into it of the principle which Jacquard devised for regulating, by means of punched cards, the most complicated patterns in the fabrication of brocaded stuffs... We say most aptly that the Analytical Engine weaves algebraical patterns just as the Jacquard-loom weaves flowers and leaves."

En fin de cette publication elle présentait un programme permettant de calculer les nombres de Bernouilli. Ce programme avait l'avantage de mettre en exergue deux points essentiels de l'Anlytical Engine. Il faisait appel au branchement conditionnel et mettait en oeuvre deux boucles. Ce programme était de loin plus ambitieux et complexe que celui que Babbage avait proposé pour sa machine.

En 1944, Howard Aiken, professeur à l'Université de Harvard, travaillait à la réalisation de l'ordinateur électromécanique Mark I et aimait à se considérer comme le disciple direct de Babbage. Il semble cependant qu'il n'était pas familier des tavaux d'Ada Lovelace et l'importance du branchement conditionnel lui échappa.

Lorsque le gouvernement des Etats-Unis lança un concours pour la fourniture d'un langage de programmation de haute fiabilité pour applications militaires et aérospatiales, ce langage fut nommé Ada, en reconnaissance des avancées décisives que ses travaux avaient permis dans le domaine de la programmation.

Le premier ordinateur électronique

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John Vincent Atanasoff (Hamilton, N.Y.1903 - 1995), était fils de Ivan Atanasov, émigré bulgare arrivé aux Etats en 1889 et de Iva Lucena Atanasov-Purdy, professeur de mathématiques, qui l'eduquera très tôt dans cette noble science. Par la suite, devenu ingénieur électricien diplômé de l'université de Floride, il prépare un master de mathématiques au collége d'état d'Ames dans l'Iowa puis, à l'université de Wisconsin, un doctorat en physique théorique. Ses travaux demandant de lourds calculs, il avait ressenti le besoin lancinant d'une machine automatique pour les exécuter. Revenu à Ames, devenu entre temps Iowa State University, il cogite très fort sur cette machine. Ayant obtenu une subvention de 650$ de son université et avec l'aide d'un jeune et brillant étudiant, Clifford Berry, ils se lance dans la réalisation d'un calculateur électronique dont le prototype tournera en 1939. Il utilise la notation binaire. Seule concession à la mécanique, l'horloge, constituée d'un moteur synchronisé sur le 60 Hz du secteur. La mémoire (60 mots de 50 bits) est constituée de condensateurs disposés sur un tambour rotatif et comporte un circuit de rafraîchissement. L'unité de calcul comporte 210 tubes électroniques. Cette machine sera connue par la suite sous le nom de machine ABC (Atanasoff Berry Computer).


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Une demande de brevet restera sans suite. Atanasoff propose l'ABC sans succès à Remington Rand. En 1940, à l'occasion d'une conférence de Mauchley, il en explique le principe à celui-ci, lequel se montre fort intéressé. Il apparu quelques années plus tard que les principes de la machine ABC se retrouvaient dans l'ENIAC. La guerre survient alors, Berry est mobilisé, Atanasoff est requis pour diriger un programme d'acoustique sous-marine au laboratoire d'artillerie navale de White Oak. Entre temps l'ABC est cannibalisé (2) et oublié. Après la guerre, Atanasoff continue de travailler pour l'armée. Il prend sa retraite en 1961.

Un procès qui durera six ans oppose Honeywell et Remington Rand, où travaillent maintenant Eckert et Mauchley, pour la paternité de l'invention de l'ordinateur électronique. A l'issue de ce procès le juge fédéral Earl R. Larson reconnait l'antériorité du Dr Atanasoff dans les solutions utilisées dans l'ENIAC. La paternité de l'invention lui est donc définitivement reconnue. Notoriété et honneurs arrivent alors. Il reçoit des médailles dont la plus remarquable est probablement la National Medal of Science and Technology. Cette médaille lui fut remise par le président Bush père lui-même à la Maison Blanche. Il décède en 1995 à l'âge de 91 ans.

(2) Cannibaliser : récupérer des pièces sur un projet n'ayant plus cours (ou supposé tel). Pendant la guerre, et même bien après, quand on ne pouvait acheter, on cannibalisait. Ce cannibalisme est un phénomène lent et progressif mais qui conduit inexorablement à la destruction de l'appareil dont il ne reste finalement que l'ossature de base, bonne pour la ferraille.

Le premier bug

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Grace Hopper, (1906 New York - 1992, Alexandria, Va) est née Grace Brewster Murray, ainée de trois enfants. Elle épouse en 1930 Vincent Hopper, dont elle divorcera. Titulaire d'un Ph.D. de mathématiques de l'Université de Yale, en 1943 elle fut incorporée dans la marine. Elle fût parmi les pionniers de l'informatique. Elle conçu un compilateur en 1951 et était convaincue que la seule manière de permettre à tous d’utiliser l’ordinateur était de simplifier les langages de programmation. Elle est créditée des travaux qui conduisirent à l'avènement du Cobol, encore utilisé de nos jours. En 1985 elle reçut le titre de rear-amiral (contre-amiral) par le Président Reagan puis elle pris sa retraite en 1986.

En 1945-1946, Grace Hopper exerce à l'Université de Harvard où elle travaille sur deux ordinateurs électromécaniques de l'époque : Mark II et Mark III. Le 9 septembre 1945, alors qu'elle venait de démarrer à 15:25 un test Multiply + Add sur Mark II, elle attribua une erreur survenue à ce moment à un papillon nocturne (moth) qu'elle trouva coincé entre les contacts du relais 70 du panneau F.


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L'insecte fut enlevé et placé dans le cahier de bord sur lequel elle indiqua que c'était réellement la première fois qu'une bestiole (bug) était trouvée (dans un ordinateur). C'est depuis ce temps là que l'on nomme bug (3) tout incident de nature logique dans le fonctionnement d'un ordinateur. Il semble que ce premier bug soit pieusement conservé dans les archives de cettte université. On remarquera que si le bug parait intact par contre le ruban adhésif a jauni. Contrairement à ce que certains prétendent, rien ne confirme que Miss Hopper ait été surnommée ladybug (coccinelle) à la suite de cet incident.


(3) En France, particularisme culturel oblige, les académiciens, après de longues délibérations, ont réussi à trouver d'autres noms amusants pour le bug et pour le computeur. Comme le ridicule ne tue pas, on les dit immortels (les académiciens, pas les bugs).

Pour conclure...

Singulier raccourci direz-vous ? Et vous aurez bien raison de le dire, mais cette page n'est pas une encyclopédie. Pourtant les points les plus importants sont bien là. Depuis l'ordinateur d'Atanasoff, la technologie a certes évolué mais les principes de base sont les mêmes. Les nombres sont toujours représentés, en notation binaire, par des charges électriques et les opérations par des déplacements de charges. On nous promet pour demain des ordinateurs quantiques mais s'ils doivent se concrétiser un jour, beaucoup d'eau aura passé sous les ponts avant leur avènement. La programmation elle aussi a évolué mais ses fondements n'ont pas changé.

Bibliographie

SCIENTIFIC AMERICAN, Feb. 1993, Redeeming Charles Babbage Mechanichal Computer, by Doron D. Swade

SCIENTIFIC AMERICAN, May 1999, Ada and the First Computer, by Eugene Eric Kim and Betty Alexandra Toole

SCIENTIFIC AMERICAN, Aug. 1988, Dr. Atanasoff's Computer, by Allan R. Mackintossh

    

File: history.html - Robert L.E. Billon, 2008-09-22 - Last update: 2010-11-04