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Si je vous
dis « AÉROTRAIN », à quoi pensez-vous ? Cette question, je
l’ai souvent posée au cours de mon enquête et j’ai reçu
beaucoup de réponses fausses et parfois fantaisistes. Les français
qui étaient en âge de s’intéresser à l’actualité entre 1965
et 1974 devraient s’en souvenir. En effet, ce nom désigne un procédé
appliqué à un moyen de transport, rendant celui-ci révolutionnaire.
Il faut, pour commencer, présenter l’homme qui, avec son équipe,
a imaginé et développé ce procédé.
Jean BERTIN, polytechnicien,
fonda après avoir été ingénieur à la SNECMA, la société de
recherche et de développement qui porte son nom : ceci dans le but
de jeter un pont entre la science et la technologie industrielle.
L’activité de la société débuta dans la réalisation de
silencieux pour moteurs à réaction.
C’est en 1957, au cours de la
mise au point d’un de ces équipements, que Louis DUTHION, ingénieur
de la société, mit en évidence un phénomène imprévu et
pourtant connu en France depuis 1910 : l’effet de sol.
Découvert à la fin du XVIIIème siècle par le savant anglais
YOUNG, il ne fut utilisé qu’en 1916 dans la construction d’un
bateau à coussin d’air qui atteignit 75 km/h.
C’est en 1958 que la société BERTIN fut informée qu’un
anglais nommé COCKERELL venait d’appliquer cette découverte, en
tant qu’insulaire, à un véhicule amphibie : il y avait là découverte,
ou plutôt redécouverte simultanée.
L’équipe française, quant à elle, se tourna vers les transports
terrestres.
Les recherches de partenaires
financiers n’ayant pas abouti, ce sont les Forces Armées qui
commandèrent un véhicule capable de se déplacer sur des sols non
préparés. Il fut baptisé «TERRAPLANE BC4» et effectua ses
premiers essais le 7 janvier 1962.
C’est suite à cette expérimentation que l’équipe BERTIN étudiera
les jupes souples. Leur mise au point donnera une sérieuse avance
à l’équipe. En effet, ainsi équipé, un véhicule circulant sur
un sol parfaitement plan, peut se déplacer à une hauteur de vol très
faible. D’où l’idée d’une voie préparée assurant, en plus
de la sustentation, le guidage. La forme du T inversé ayant été
retenue pour des questions de sécurité et de mise en œuvre, un
prototype à échelle réduite fut réalisé. Long de 1,25m pour
0,25m de large, alimenté électriquement, il se déplaçait sur une
voie surélevée d’une vingtaine de mètres de longueur.
A partir de février 1963, les essais commencèrent devant bon
nombre de personnalités françaises et étrangères. Ces essais
donnant entière satisfaction, la réalisation d’un prototype
pouvant emporter quelques personnes devenait indispensable.
Les prospections débutèrent
avec la SNCF et la RATP, en vue d’une application commerciale. La
RATP fit rapidement savoir que seul le système « roue sur rail »
convenait à ses besoins. Quant à la SNCF, après une étude plus
poussée, elle indiqua qu’elle n’était pas intéressée par un
système mettant, par exemple, Paris à 1h30 de Lyon.
Les promoteurs du concept s’adressèrent à un tout nouvel
organisme : la Délégation à l’Aménagement du Territoire, dirigé
par Olivier GUICHARD. Celui-ci fut séduit par l’idée et débloqua
les crédits pour la réalisation d’un véhicule, à l’échelle
½, pouvant emporter quelques passagers.
Le Ministère des Transports ne pourra, faute de crédits pour la
recherche, soutenir l’équipe de « la Société d’Étude de
l’Aérotrain » créée en avril 1965.
Dès le mois de mai de cette même année, les études et la
construction de la voie allaient bon train. Établie sur un tronçon
désaffecté, sans passage à niveau, d’une des lignes
Paris-Chartres, elle est constituée de sections préfabriquées en
béton, posées sur des plots à quelques dizaines de centimètres
du sol.
Quant au véhicule expérimental,
il est terminé le 16 décembre 1965, alors qu’un seul kilomètre
de voie était disponible sur les 6,7 prévus. Néanmoins, il fut
transporté sur le site, en vue d’y réaliser un essai, à la fin
décembre.
AÉROTRAIN 01, d’une longueur de 10,11m pour un poids de 2,6
tonnes, est guidé et sustenté par l’air légèrement comprimé
par deux ventilateurs entraînés par deux moteurs Gordini de 50 Ch
chacun. La propulsion étant assurée par un moteur d’avion de 260
Ch et une hélice tri-pales à pas réversible.
Le poste de pilotage accueille deux techniciens et la cabine, placée
derrière, quatre passagers.
Après avoir posé l’engin à cheval sur la voie et avoir démarré
les moteurs Renault, celui-ci se souleva, laissant échapper l’air
par un intervalle de 2 à 3 mm, créant ainsi le coussin d’air.
Pour le déplacer, une simple poussée de la main suffisait puisque
l’AEROTRAIN ne touchait pas du tout la voie.
Le moteur de propulsion fut mis en route et le 01 effectua un aller
et retour sur, ou plutôt au dessus du kilomètre bétonné. Il
atteignit sans mal 90 km/h, vitesse élevée sur une si courte
distance.
Il fallut attendre mi-février pour que la voie soit terminée.
L’attente parut longue à l’équipe, puisqu’il n’y avait
aucune modification à apporter, l’engin fonctionnant
parfaitement.
Le 21 février, la voie et le prototype 01 furent officiellement
inaugurés. Il atteignit ce jour là 100 km/h devant toute la presse
et les 200 km/h quelques jours plus tard, sans avoir subi de
modifications.
« L’avion sans ailes », comme l’a surnommé Jean BERTIN, fut même
présenté en Eurovision. A cette époque, la SNCF parlait d’élever
la vitesse de certains trains de luxe de 140 à 160 km/h, alors que
l’on pouvait voyager à 200 km/h à bord d’un engin simple et
peu coûteux.
Les visiteurs se succédaient à Gometz où l’AEROTRAIN
fonctionnait tous les jours. Ministres, journalistes, simples
curieux, tous voulaient voir le train de l’avenir...
C’est dans le but de vérifier la tenue des coussins d’air à de
plus hautes vitesses que le 01 fut équipé d’une fusée
d’appoint conjointement au moteur d’avion, portant la puissance
à 1700 Ch.
Il atteindra 303 km/h le 23 décembre 1966 devant Olivier GUICHARD
et André SÉGALA, Président de la SNCF.
A la même époque, la Direction Générale de la SNCF lance le
projet C03, nom de code du projet « possibilités ferroviaires sur
infrastructures nouvelles ». La genèse du TGV commençait.
Modifié une nouvelle fois à
l’aide d’un réacteur de Fouga Magister, le 01 atteint 345 km/h
le 1er novembre 1967.
Devant de tels résultats et des progrès aussi rapides, le Ministre
des Transports, Monsieur Edgar PISANI, avait le désir de voir une
relation s’établir entre Lyon-Bron et Grenoble, en vue des Jeux
Olympiques.
L’étude rapidement menée déboucha sur un projet constitué par
une ligne à voie unique de 86 km, parcourue en 30 minutes, à une
vitesse de croisière de 200 km/h.
Malheureusement, les décisions du gouvernement n’ayant pas été
prises à temps, il était devenu évident que la ligne ne pourrait
être terminée à temps.
La première occasion pour l’AEROTRAIN de transporter de vrais
voyageurs venait d’être manquée.
Néanmoins, les résultats
fulgurants du 01 firent que Monsieur PISANI passa commande, le 18 décembre
1967, d’une voie d’essai de 18 km grandeur nature, pouvant être
intégrée par la suite dans une ligne Paris Orléans.
Le contrat prévoyait un véhicule de 80 places pouvant assurer 250
km/h de vitesse de croisière sur une ligne prévue pour 400 !
Les travaux débutèrent rapidement et, en décembre 1968, 10 km de
voie étaient déjà posés. La ligne de Gometz, quant à elle,
verra encore un record battu. Par le prototype 02. Répondant à une
commande de mars 1967, il était bien profilé, bi-place et propulsé
par un réacteur Pratt & Whitney de 1250 kg de poussée.
Il atteignit les 300 km/h dès les premiers essais en mai 1968 et
pulvérisa le record du 01 en atteignant 422 km/h, aidé par une fusée
d’appoint, le 22 janvier 1969.
AÉROTRAIN I-80 destiné à la base d’Orléans, est présenté au
public le 7 juillet 1969 au Bourget.
Il est transporté quelques jours plus tard à la base d’Orléans.
La mise sur voie est effectuée le 10 septembre, le 12, il atteint
200 km/h et le 13, 250 km/h. C’était là la vitesse maximum
qu’il pouvait atteindre avec l’hélice carénée entraînée par
deux turbines de 2200 Ch qui l’équipaient. Les progrès allaient
aussi vite que l’AEROTRAIN.
C’est le 13 novembre 1969 qu’il fait la démonstration de clôture
des essais préliminaires devant le Ministre des Transports et le Délégué
chargé du Plan et de l’Aménagement du Territoire.
En octobre 1973, il est modifié
pour les très hautes vitesses, recevant un turbo-réacteur
d’avion de ligne. Très vite, il atteint 400 km/h.
Si vous aviez compté parmi les 2900 personnes qu’il transporta à
plus de 350 km/h durant ses nombreux essais, vous auriez été
certainement surpris de n’avoir pas plus de problème pour faire
votre courrier à son bord qu’à votre bureau.
Quant aux cinéastes qui filmaient les essais, ils le faisaient sans
appui, dans la cabine, la voie défilant devant eux à 110 m/s.
Le record mondial de vitesse
pour véhicule terrestre à coussin d’air est battu le 5 mars 1974
avec une vitesse moyenne de 417,6 km/h pour une pointe à 430 km/h,
démontrant ainsi la viabilité du concept.
Il faut toutefois noter que ces vitesses ne sont commercialement
parlant, pas concurrentielles ; ceci étant vrai pour tous les modes
de transport. En effet, pour passer de 200 à 400 km/h, il faut
quadrupler la poussée pour vaincre la résistance de l’air et
disposer d’une puissance 8 fois plus élevée.
Monsieur BERTIN conclura très tôt qu’une vitesse économiquement
raisonnable ne devait pas dépasser 350 km/h.
Devant des résultats aussi
fulgurants, plusieurs relations furent envisagées.
Citons Paris-Orléans, Paris-Lyon, ORLY-ÉTOILE, Bruxelles-Genève
par le Luxembourg et Bâle, Calais-Fourmies par Dunkerque et
Maubeuge, Aix en Provence-Marseille, Orly-Roissy, La Défense-Cergy
Pontoise. Ces deux dernières ayant été très proches de leur réalisation.
La première devait relier Orly à Roissy en passant par Joinville
le Pont, sur une distance de 56 km, parcourus en seulement 20
minutes. Orly était alors à 14 minutes de l’Opéra par connexion
au RER. Cette réalisation qui manquera par la suite est mise de côté
pour réaliser La Défense Cergy.
L’étude fut une fois de plus menée rapidement, laissant le choix
de plusieurs modes de propulsion.
Le contrat fut enfin signé le
21 juin 1974, et l’AEROTRAIN allait pouvoir prouver ses capacités
et constituer ainsi une vitrine de l’innovation française.
Mais le 17 juillet, le gouvernement fit savoir qu’il ne voulait
plus construire la ligne.
Toutes ces années de
recherches, d’essais, de réussites furent réduites à néant.
Quelques autres tentatives de mise en service de l’AEROTRAIN
furent faites, mais l’annonce, en septembre 1975 de la mise en
service du TGV sur Paris-Lyon donna le coup de grâce. Jean BERTIN,
épuisé de toutes ces années de travail, disparaît le 21 décembre
1975.
Son œuvre, quant à elle est toujours là.
Enfermés dans leurs hangars, quelquefois vandalisés, les différents
modèles d’AEROTRAIN sont victimes des assauts du temps et des
visiteurs irrespectueux.
Malgré ces 13 années de
sommeil, le concept AÉROTRAIN n’a pas pris une seule ride.
Les qualités mises en évidence durant les essais sont toujours
d’actualité : économie, rapidité, grande fréquence, préservation
de l’environnement et confort.
L’ouverture de l’Europe en 1992 serait peut-être l’occasion
de reconnaître que Monsieur BERTIN était sur la bonne voie dès
1962, en envisageant d’équiper la Communauté Européenne d’un
mode de transport vraiment nouveau.
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